Pour faire face aux pénuries de dons du sang, aux problèmes d'incompatibilité entre donneurs et receveurs ou encore réduire les risques d'infections, les recherches pour produire du sang artificiel offrent une alternative intéressante. Plusieurs voies sont explorées, de la reprogrammation de cellules de peau à la fabrication de globules en hydrogel. C'est sur une troisième voie que se sont engagés le professeur Luc Douai et son équipe française : la production de globules rouges à partir de cellules souches.
Précieux globules rouges
Aussi appelés érythrocytes ou hématies, les globules rouges sont des cellules sanguines un peu particulières. Ce sont elles qui sont chargées du transport d'oxygène et de C02 dans notre corps. Entièrement dévouées à cette fonction, elles ont perdu leur noyau (ce qui ne leur permet pas de se diviser) et sont presque entièrement remplies d'hémoglobine. L'hémoglobine est une protéine contenant un ion de fer : c'est ce qui permet de fixer l'oxygène et qui donne en même temps sa couleur rouge aux globules rouges… et donc au sang !
Lorsqu'ils sont sous leur forme "normale" (parce qu'il existe des maladies causées par la déformation des globules rouges), les hématies ont une forme de petit coussin rond, d'une taille de 7 microns environ. Leur petite taille et leur flexibilité leur permet de se faufiler jusque dans les plus petits capillaires sans créer de bouchon. Comme ils ont réduit leur machinerie cellulaire au strict minimum, ils ne vivent pas très longtemps (120 jours environ) mais sont fréquemment renouvelés. L'usine de production des globules rouges est située au niveau de la moelle osseuse (celle des os plats comme les côtes, de la clavicule, ou encore à l'extrémité des os longs) qui renferme des cellules souches. Chaque jour, notre corps renouvelle 1% de notre stock de globules rouges !
Mais parce qu'ils assurent le transport des gaz respiratoires, ces globules rouges sont très précieux et c'est pour cette raison que les transfusions sont nécessaires aux personnes qui ont perdu beaucoup de sang : leur corps produit des globules rouges, mais pas assez vite et en assez grande quantité !

Une transfusion sanguine, c'est quoi ? On ne transfuse jamais le sang d'un donneur tel quel : les globules blancs sont retirés puis les différents produits du sang –globules rouges, plaquettes, plasma- sont séparés et donnés aux malades selon leurs besoins. Fabriquer du "sang synthétique", c'est en fait produire au laboratoire, hors d'un organisme (in vitro) les différents produits du sang. Dans quel but ? Pour que les hôpitaux aient toujours un stock de produits sanguins, pour éviter tout risque d'infection et pour résoudre les problèmes de patients intolérants à de nombreux produits sanguins issus de donneurs.
Sang synthétique : des résultats prometteurs !
Il est aujourd'hui possible de "produire" des globules rouges en laboratoire, pas à partir de rien mais depuis des cellules souches (c'est-à-dire non différentiées) issues de la moelle osseuse, de cordon ombilical, de cellules de fœtus ou de cellules souches d'organismes adultes. Les cellules souches sont des cellules sans identité ni spécialisation : elles ont la capacité de se différencier en plusieurs types de cellules, selon les signaux chimiques qu'elles reçoivent.
Les globules rouges sont obtenus par différenciation des cellules souches du patient, puis retransfusés.
Mais jusqu'à présent, on ne savait pas si ces globules rouges étaient utilisables en clinique et quel serait leur comportement dans l'organisme. C'est désormais chose faite par Le professeur Douai et son équipe qui, après des essais sur des souris, ont pratiqué une transfusion sur un patient volontaire. Les globules rouges ont fini leur maturation dans l'organisme puis se sont comportés normalement, avec une durée de vie similaire aux globules rouges fabriqués directement par le corps.
L'objectif serait à présent de réussir à produire des globules rouges en grande quantité. Les cellules souches de cordon ombilical sont sous le feu des projecteurs parce qu'elles sont facilement prélevables. Les cellules souches de l'organisme adulte (iPS) sont également intéressantes. En les prélevant sur des patients polyimmunisés ou aux groupes sanguins rares (qui représentent tout de même entre 1 et 3% des transfusés), cela permettrait de créer des globules rouges adaptés et de réaliser des transfusions sans risque d'incompatibilité. En quelque sorte, cette méthode permettrait aux médecins de réaliser des transfusions adaptées à chaque patient !
Mais il faut tout d'abord franchir encore quelques pas technologiques pour rendre la production plus efficace et moins couteuse. Pour l'instant, les dons du sang restent plus que jamais nécessaires pour sauver, chaque année, un million de malades !
En résumé...
Le sang est un fluide vital pour notre organisme, constitué de plusieurs types de cellules dont les globules rouges, qui transportent les gaz respiratoires. La recherche pour produire en laboratoire des cellules sanguines permettrait de ne plus dépendre des dons du sang et de limiter les risques d'infection ou d'incompatibilité. Une équipe française, menée par le professeur Douai, est parvenue pour la première fois une autotransfusion : à partir des cellules souches d'un patient, les chercheurs ont obtenus des globules rouges fonctionnels et les ont transfusés avec succès au patient donneur. Même si cette méthode s'applique peu aux cas d'urgence, elle permettrait de soigner des malades au système sanguin très peu compatible. Cette étude ouvre aussi peut-être la porte vers une production à grande échelle de globules rouges !
Références :
Giarratana, M.-C. et al., (2011). Proof of principle for transfusion of in vitro generated red blood cells. Blood.
Cette étude a été soutenue par l'EFS (Etablissement français du sang), l'association Laurette Fugain, l'association Combattre la Leucémie, l'Association pour la recherche en transfusion et la fondation Jérôme Lejeune.