Le premier ADN synthétique a été crée !
Création d'un ADN synthétique

La nouvelle est tombée ce 20 mai 2010 dans le magasine Science. Une publication du J. Craig Venter Institute indique qu'après 15 ans de recherche et 40 millions d'euros investis, le groupe de recherche a réussi à obtenir des colonies de bactéries entièrement contrôlées par un génome crée de toutes pièces. Jusqu'ici, des bactéries génétiquement modifiées étaient utilisées en médecine et en industrie agroalimentaire pour produire des substances utiles, et seuls quelques fragments de leur génome était modifié. Avec cette création en revanche, c'est un ADN complet qui a été chimiquement synthétisé et assemblé à partir de données numériques. AxiomCafe vous propose d'en savoir plus sur cette technique inédite !
Le séquençage
Attention comprenons nous bien, le génome n'a pas été "inventé" : les scientifiques se sont basés sur des données informatiques issues du séquencage du génome d'une bactérie: la Mycoplasma mycoide.
[panneauderoulant collapsed Séquençage, kesako? (Cliquez pour ouvrir) ]
Vous savez probablement que l'ADN est le support de toutes les informations nécessaires au bon fonctionnement d'une cellule, un peu comme une grosse encyclopédie qui contiendrait des plans pour construire et faire tourner une machine. L'alphabet de l'ADN n'est composé que de quatres bases (les nucléotides) que l'on nomme A, C, T et G et qui s'accrochent les unes à la suite des autres pour former un brin d'ADN. L'autre brin (car l'ADN est une double hélice) est complémentaire du premier : si sur un brin il y a un T, sur l'autre brin juste en face il y aura nécessairement un A; pareil entre C et G. Séquencer un génome, c'est déterminer l'enchainement de ces quatres bases sur toute la longueur du brin (un seul brin suffit puisque l'un est le "miroir" de l'autre) !
Cela donne des suites interminables de lettres ressemblant à ça :
AACTGGTACCTGTGCAGTGACGTGGTTTTAAGCTGC...
Incompréhensible pour nous, mais cela à bien un sens pour la cellule !
Les séquences, qui représentent parfois une quantité phénoménale de données, sont enregistrées au fur et à mesure sur un ordinateur puis publiées dans des banques de données.
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En 1977, Sanger et ses collègues effectuent le séquençage complet du phage φX174 (les phages sont des virus spécifiques aux bactéries). Ce fut le premier génome à ADN complètement séquencé.
En 1995, c'est au tour de la bactérie Mycoplasma genitallium d'avoir son génome séquencé. Cette bactérie possède le plus petit génome d'organisme vivant. (rapellons que les virus ne sont pas considérés comme vivants !)
Ces dernières décennies, la capacité de numérisation des génomes a été multiplié par 8 ; alors qu'il fallait quelques mois pour séquencer un génome bactérien en 1995, aujourd'hui quelques jours suffisent !
Mais après avoir numérisé les génomes, une question à commencé à trotter dans la tête de nombreux généticiens : est-il possible, à partir de ces données numériques, de recréer un génome complet viable ? Autrement dit, du moment que l'on connait l'ordre d'enchainement des nucléotides, peut-on recréer nous même un ADN sur ce modèle, puis l'insérer dans une cellule ?
Vers la fabrication de l'ADN
Le principe de la manipulation effectuée par l'équipe de recherche est le suivant : créer une copie quasi-conforme de l'ADN de la bactérie Mycoplasma mycoide et l'insérer dans une cellule "naturelle" à laquelle on aura préalablement ôté le génome. Le terme de "cellule synthétique" utilisé pour parler de cette manipulation peut donc être considéré comme un abus de langage, puisqu'en réalité seul le génome est synthétique. Il n'empêche que cette technique représente un pas important dans le domaine des biotechnologies ! Jusqu'ici on n'avait encore jamais crée un génome entier, ce qui représente dans le cas de cette bactérie un peu plus d'un million de paires de bases à assembler les unes après les autres !
A titre de comparaison, nous autres humains possédont tout de même un ADN composés de 3,4 milliards de paires de bases...
Les étapes de la manip'
Après le séquençage, nous possédons l'enchainement des nucléotides sur le brin d'ADN. A partir de là, il faut donc faire l'inverse : construire un nouveau brin en suivant rigoureusement le modèle du premier. Le travail consiste en la fabrication puis l'assemblage d'un puzzle...qui compterait plus d'un million de pièces ! C'est un travail long et laborieux qui demande une extrême précision puisqu'il suffit d'une erreur sur un million de nucléotides dans un gène essentiel pour que l'ADN entier soit inactif.
1- Synthèse (in vitro) des séquences nucléotidiques

Les quatres nucléotides A, C, T et G sont assemblées in vitro en petits fragments selon les données numériques issues du séquençage. Le génome n'est pas synthétisé en entier directement : de multiples séquences nucléotidiques sont crées pour être ensuite assemblées (étape 2). La création des fragments se fait à l'aide de machines, les "synthétiseurs d'oligonucléotides".

2- Assemblage (in vivo, dans une levure) des séquences en quatres étapes
Assemblage des mots en phrases, elles-même assemblées en paragraphe, puis en chapitre et enfin en un livre unique.
Cette étape se fait à l'intérieur de levures, soit en condition in vivo. Les séquences de la première étape ont été "collées" entre elles dans le bon ordre pour former 1.000 assemblages de 1.000 pb chacun (pb = paires de bases : A-T ou C-G).
Ceux ci ont eux-même été regroupés pour former 109 séquences de 10.000 pb chacunes, puis 11 assemblages de 100.000 pb et le tout a enfin été collé pour obtenir un ADN entier.

Cet ADN se présente sous la forme d'un chromosome circulaire (n'oublions pas qu'il s'agit d'un génome bactérien) qui porte ici le nom de plasmide centromérique.
Plasmide centromérique :
Le plasmide centromérique Ycp de la levure ('Y' pour yeast -'levure' en anglais- et 'cp' pour centromeric plasmid) est un vecteur génétique qui se présente sous la forme d'un fragment d'ADN circulaire double brin, avec un marqueur de sélection adapté aux levures. Il possède :
- une origine de réplication chromosomique ARS (autonomously replication sequence)
- un centromère (CEN) de chromosome de levure (permet une stabilité pendant les divisions en conférant au plasmide des caractéristiques de "mini-chromosome").
Ils sont propagés avec un faible nombre de copies par cellule.
3- Clonage du plasmide centromérique
Copie du livre en plusieurs exemplaires
Maintenant que le génome est assemblé dans la levure, on la laisse se multiplier. Le plasmide sera ainsi copié en beaucoup d'exemplaire, puis récupéré pour la suite de la manipulation.

4- Transplantation du génome synthétique
Le plus gros du travail a déjà été réalisé : on se trouve à présent en possession d'un génome entièrement chimiquement synthétisé ! Mais il faut encore le tester et voir comment une cellule se comporte avec ce materiel génétique. Le généticien enlève alors le génome de la Mycoplasma capricolum, qui sert désormais de cellule "récipient" pour notre ADN tout neuf.
L'effet attendu ? Déjà, il faut que le génome soit opérant, c'est à dire qu'il n'y ait pas eu d'erreurs lors de sa construction. Ensuite, on espère que le génome va prendre le contrôle de la cellule et la rendre semblable à la souche de Mycoplasma mycoide dont il a été copié.
Pourtant, à la première transplantation, rien ne s'est produit ; comme des programmateurs informatiques face à un bug de logiciel, ils ont alors systématiquement transplantés des combinaisons de fragments d'ADN natifs et des morceaux d'ADN synthétique pour déceler l'endroit du problème... pour finallement trouver une unique erreur au niveau d'une nucléotide. La résolution de ce problème aura pris trois mois...!
Mission accomplie pour cette équipe de chercheurs qui, après s'être débattu avec acharnement pendant de longues années contre les barrières naturelles, a vu croitre sur ses boites de Pétri de jolies colonies bleues.
Conformément à ce qui était attendu, après transplantation du génome, la bactérie receveuse perd toutes ses anciennes caractéristiques. Les propriétes de la cellule controlée par le génome sont supposées être les mêmes que si la cellule avait entièrement été crée synthétiquement (d'où l'expression de "cellule synthétique").
"Le software ADN construit son propre hardware", explique Daniel G. Gibson, généticien du J. Craig Venter Institute.
En observant les colonies de M. capricolum transformées au microscope, elles possèdent en effet la même morphologie que les M. mycoide. Le génome a été séquencé, et confirme qu'il s'agit bien de l'ADN synthétique. Les chercheurs ont aussi analysé les protéines formées ; toutes sont spécifiques des Mycoplasma mycoide, et il ne reste aucune trace de protéines provenant de la cellule "receveuse".
"Nous avons clairement transformé une cellule en une autre", explique Craig Venter.

[panneauderoulant collapsed Pourquoi une couleur bleue ? (Cliquez pour ouvrir) ]
Pourquoi le fait d'obtenir des colonies bleues a-t-il tant réjoui cette équipe de chercheur ? Parce qu'elle est la preuve que les bactéries qui sont en train de pousser ont bien été transformées par le génome synthétique, qu'elles sont viables et qu'elles peuvent se multiplier !
En effet, dans l'ADN crée, les chercheurs ont introduit un gène spécial, le LacZ. Il n'est pas important pour la bactérie, mais il permet de synthétiser une substance, la ß-galactosidase. Lorsque la cellule est déposée sur une boite qui contient du X-gal, elles le convertissent en un composé bleu... ce que ne peuvent pas faire les cellules "naturelles" qui gardent un aspect neutre en présence de X-gal. Ainsi, seules les cellules synthétiques peuvent donner une telle couleur, et réciproquement, l'observation de la couleur bleue prouve que les cellules en présence sont synthétiques !

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Pour que le génome assemblé soit reconnu comme synthétique, quatres séquences d'ADN contiennent des enchainements de bases qui, en code, indiquent une adresse mail, de nombreux noms de personnes impliquées dans le projet ainsi que de citations célèbres !
Et ensuite ?
Ce travail, de l'avis de l'équipe du J. Craig Venter Institute, fournit la preuve que la production de cellules à partir de séquences d'ADN stoquées numériquement est possible. Même si dans cette expérience, le génome synthétique possède très peu de différence avec les mycoides naturels...
Cela a des retombées sur les sciences médicales ou agro-alimentaires qui travaillent énormément avec des bactéries et qui pourraient trouver un avantage à créer des souches "sur mesure". En effet, même si l'ADN fabriqué ici ne possède pas beaucoup de différences avec l'ADN naturel, il s'agit néanmoins d'un ADN synthétique capable de prendre le contrôle d'une cellule. "Nous avons encore nombreux défis devant nous, avant que l'ingénieurie génétique puisse mélanger, assembler et enfin concevoir complètement le génome d'un organisme à partir de rien" précise Paul Keim, généticien moléculaire à la Northern Arizona University de Flagstaff.
Les implications éthiques sont comme toujours importantes, car avec cette technique nous avançons encore un peu plus dans la création d'un "vivant artificiel" et la maîtrise d'organismes selon notre bon vouloir. Les débats qui portent sur l'intérêt de telles études, tant sur le plan fondamental que sur le plan pratique ont lieu et doivent se poursuivre, car il est vrai que la biotechnologie a pour tendance générale de chercher à contrôler toujours plus les phénomènes propres au vivant, ce qui peut sembler pour certains une quête vaine et plutot contre-productive.
Quoi qu'il en soit, restons conscients des faits sans être alarmistes ; pour l'instant, la technique employée par l'équipe de Venter est trop complexe pour tomber dans les mains du bioterrorisme -le grand stress des chercheurs-.
La création d'êtres vivants "sur mesure" n'est pas au programme, ni la reconstitution d'espèces disparues comme le mammouth ou l'homme de Néanderthal.
Certes un ADN a été crée chimiquement, mais à quel prix ! Le génome en question reste très petit, il ne s'agit que d'un plasmide, et surtout, l'ADN a préalablement été séquencé entièrement, sans aucun trou !
C'est loin d'être le cas pour Néanderthal ou le mamouth, dont on trouve des petits fragments d'ADN, très déteriorés et surtout pas entiers.
Et l'ADN ne fait pas tout ; si les bactéries sont très faciles à cultiver, créer des organismes plus évolués demande un travail considérable, avec un taux de pertes vertigineux : il faut trouver des cellules-oeufs compatibles, trouver des mères porteuses, activer le génome, etc...
Outre les question techniques, n'oublions pas l'ethique : à part satisfaire la curiosité scientifique, rien ne justifierait de pareils travaux et les scientifiques en sont bien conscients.
"Une chose est sure," explique Jef Boeke (biologiste des levures au Johns Hopkins University School of Medicine in
Baltimore, Maryland.). "Des créatures intéressantes vont sortir des laboratoires Venter Institute."
Baltimore, Maryland.). "Des créatures intéressantes vont sortir des laboratoires Venter Institute."
Affaire à suivre donc !
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Sources : Science, 21 may 2010. Vol 328 ou www.sciencemag.org.
Creation of a Bacterial Cell Controlled by a Chemically Synthesized Genome, Gibson et al. Lire la publication (en anglais)
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