sam, 06/02/2010 - 10:03 par Camille
Type:
Sujet:
L'apprentissage du chant chez les oiseaux
Introduction
Quand les oiseaux chantent, les ornithologues jubilent ... et ils ne sont pas les seuls ! Du petit gazouilli matinal à la mélopée complexe, les chants d'oiseaux sont acceuillis avec plaisir au début de printemps - sauf lorsque l'un de ces solistes s'installe sous notre fenêtre à 6h du matin -.
Mais là où les oreilles du promeneur du dimanche n'entendent que cris, sifflements et piallements, une oreille aguerrie distinguera les appels amoureux des menaces territoriales, identifiera les premiers babillages du bébé, distinguera le maestro du jeune en apprentissage... et reconnaitra même les accents et dialectes ! Difficile de croire que tant de données soient contenues dans une série de sons sensiblement identiques de notre point de vue. Bien évidemment, tous les oiseaux chanteurs n'ont pas la même complexité de chant. Certains n'enchainent que quelques notes, tandis que d'autres peuvent s'égosiller durant plusieurs minutes. Notes, syllabes, tempo, rythme, intensité... Les chants d'oiseaux sont spécifiques aux espèces et pire : chaque indivu se distigue de son voisin en adoptant sa propre manière de chanter !




Alors qu'un tiers des oiseaux se contente de crier, les oiseaux dits "chanteurs" sont regroupés dans l'ordre des Passériformes qui compte plus de 4000 espèces. Et encore, bien souvent seul le mâle chante pour défendre son territoire, impressionner d'autres congénères... et faire la cour à sa belle. Les moineaux, alouettes, hirondelles, bergeronnettes, étourneaux, corbeaux, mésanges, pinsons... sont des passereaux.
Mais qu'est-ce qu'un chant ? Comment véhicule-t-il des informations ? Ce chant est il appris ou inné ?
Les réponses à ces questions et à beaucoup d'autres dans cet article !
Qu'est-ce qu'un chant ?
Un chant consiste en une succession de sons ponctués de silences. Pour identifier et analyser les chants d'oiseaux, les scientifiques ont recours à un appareil : le spectrogramme. On obtient un diagramme représentant les fréquences sonores (axe vertical) en fonction du temps (axe horizontal). (cf Figure 1 et 2)
• L'unité la plus basique du chant est la note, ou l'élément, qui apparait comme une marque continue sur le spectrogramme.
• L'unité suivante est la syllabe, composée de plusieurs notes groupées ensemble.
• Deux ou plusieurs syllabes regroupées forment une phrase. Une phrase peut ainsi être l'enchainement de syllabes identiques ou au contraire contenir des syllabes différentes. Pour être encore plus complexe, il arrive parfois qu'une phrase ne soit composée que d'une note ou d'une syllabe unique.
On appelle synthaxe la durée et l'ordre des notes, syllabes, ou phrases.
.png)
Exemples de 'phrases' obtenues sur spectrogramme (ici : sonogramme)

Exemple d'unités identifiables d'un chant sur sonogramme
Il existe une variété impressionnante de chants : le répertoire peut varier énormément d'une espèce à l'autre. Certains oiseaux ne possèdent qu'un chant qu'ils répètent, d'autres en connaissent plusieurs centaines - et ce cas n'est pas inhabituel !
Mais les oiseaux ont le même problème que l'homme : ils utilisent l'air à la fois pour vocaliser... et pour respirer. Mener les deu
x de front demande ainsi une bonne coordination. L'organe de chant des oiseaux est la syrinx, analogue au larynx chez l'homme. Cet organe est localisé à la jonction entre la trachée et les bronches primaires. Il est composé de deux voies, mais la plupart du temps seule la voie de gauche est utilisée pour produire des sons.
L'air utilisé pour chanter et respirer ne vient pas directement des poumons, comme c'est le cas chez l'homme. Il vient d'un systeme complexe de sacs aérifères. Les sacs sont compressés par des muscles, ce qui fait sortir l'air dans les bronches et fait vibrer la membrane tympanique.
Le sytème de chant et le sytème de respiration sont coordonés réciproquement : les oiseaux ne prennent une bouffée d'air que lors des pauses silencieuses de leur chant (chant qui a donc lieu pendant l'expiration).
Une sérénade... version tonique !
Des études sur les canaris ont permis de montrer que certains chants sont préférés par les femelles ; curieusement, ce ne sont pas les mélodieux 'triillouiiiiit pitlouiit" qui plaisent mais plutôt quelque chose ressemblant à 'ttrrkk ttrrk trrk'.

Plus particulièrement, certaines phrases ont été repérées comme particulièrement excitantes. L'une de ces phrases 'réactogènes', dénommée poétiquement séquence A, provoque chez la femelle une posture invitant l'accouplement. Toutes ces phrases stimulant l'activité sexuelle des femelles ont en commun un tempo extrêmement rapide : entre 16 et 25 syllabes par secondes ! Et plus ces phrases sont répétées dans le chant des mâles, plus les femelles sont entreprenantes (des études parallèles tendent à montrer que d'autres espèces possèdent ce genre de phrases réactogènes).

Bien souvent dans le règne animal, c'est la femelle qui choisit son partenaire - et non l'inverse. Pourquoi ? Certainement en raison du coût important que représente pour elle la reproduction : produire des ovules coûte plus cher en énergie que des spermatozoïdes, et leur fabrication est lente et limitée. Et ne parlons pas de l'investissement pour les femelles mammifères, qui portent le petit en elle et s'en occupent après la naissance ! C'est donc aux mâles de s'entre-déchirer pour cette ressource rare, et à la femelle de choisir le bon, le vrai partenaire, sain et vigoureux. Pour sélectionner leurs prétendants, les femelles ont souvent recours à ce que l'on apelle le signal du handicap. Cette methode va leur permettre de faire la différence entre les beaux parleurs qui tentent de bluffer sur leur état de santé, et ceux qui sont réellement costaux. Le handicap se résume très simplement :
Ces signaux de handicap sont très fréquents dans le règne animal : la queue déployée, encombrante et multicolore chez le paon, les couleurs voyantes des pelages, les excroissances qui déséquilibrent le vol ou la nage...
Mais revenons à nos canaris. Les vocalises tant appréciées par les demoiselles sont extrêmement difficiles à obtenir pour les mâles qui ont du mal à tenir jusqu'au bout. Pour y arriver, ils ont besoin d'une bonne réserve d'énergie et d'un bon souffle ; donc pas de parasites. Malin ! D'autant que pour réaliser la phrase A par exemple, le canari doit utiliser les parties gauches ET droite du syrinx pour produire deux sons en même temps, alors qu'il n'utilise en général que la partie gauche ; cela demande donc en plus une excellente capacité motrice !
L'apprentissage du choriste
Bien souvent, seul le mâle chante. Son apprentissage doit parfois se faire avant la maturité sexuelle, mais d'autres espèces comme le canari peuvent apprendre toute leur vie. Mais alors, les oiseaux doivent apprendre leur chant ? Ne savent-ils pas chanter dès leur naissance ? En réalité, il y a bien une partie d'inné et une pratie d'apprentissage. Nous pouvons ici faire un parallèle avec l'homme : notre capacité de parler est innée, mais nous devons apprendre une langue pour communiquer efficacement.
Souvent, il faut une exposition aux chants directement après l'éclosion. C'est ce que l'on apelle la phase critique, pendant laquelle le jeune doit entendre le chant des adultes. Le plus souvent, dans la nature, l'oisillon se réfère à son père ou à son oncle.
On peut en réalité distinguer deux grandes phases dans l'apprentissage : une phase d'écoute et de mémorisation, qui doit le plus souvent se faire pendant une période précise et courte. Puis, parfois beaucoup plus tard, une phase dite 'sensorimotrice' ou le jeune s'entraine à chanter.
► Les premiers chants, subsong en anglais, sont une série de sons doux et désordonnés, semblables aux babillages des bébés.
► Vient ensuite le plastic song, pendant lequel le jeune fait ses premières imitations et apprend les spécificités du chant de son espèce. Il répète les chants entendus, ce qui n'est pas le cas à l'étape du subsong.
► La dernière étape est la cristallisation, cristallized song en anglais. Le chant est appris dans ses variations normales de volume, duréee, structure syllabique et ordre dans les phrases.
Même les oiseaux qui apprennent toute leur vie passent au départ par ces trois phases ! En revanche, la durée et le moment de la phase critique varient d'une espèce à l'autre.
Ce qui est particulièrement intéressant, et qui a déjà été mentionné plus haut, est la nécessité de l'empreinte sociale. En effet, il ne suffit pas à l'oisillon d'écouter un chant, il lui faut une véritable interaction avec ses congénères. De nombreux tests ont été réalisés :
- un oisillon seul, soumis à l'écoute du chant de son espèce va apprendre un chant relativement compréhensible par ses semblables mais tout de même bien différent d'un oisillon élevé aux milieux de ses parents.
- à l'inverse, deux oisillons soumis à l'écoute du chant de leur espèces ne vont pas l'écouter et développer leur propre chant !
- chez quelques espèces, un oisillon placé dans une cage avec des oiseaux d'une autre espèce que la sienne va apprendre leur chant même si il entend le chant de son espèce à côté. (cela dépend de la part d'inné chez cette espèce)
Ces quelques exemples montrent que la présence d'un congénère va l'emporter sur la simple écoute d'un chant.

Alors qu'on la pensait autrefois rigide, la phase critique peut en fait être allongée ou raccourcie sous l'influence de divers facteurs (expérience de l'auditoire, variations hormonales, qualité des interactions sociales...). C'est pour cela que l'on préfère aujourd'hui parler de phase de sensibilité.
► Mais qu'apprenent-ils pendant cette phase ?
C'est ce que l'on appelle la préférence induite : il existe un mécanisme inné qui permet à l'oisillon de mémoriser le chant entendu pendant la phase sensible. Ce chant est gardé en mémoire, et sera réactivé lors de la phase de pratique pour leur permettre de reconnaitre le chant de leur espèce. De manière générale, un jeune oiseau ne pourra réellement apprendre à chanter que si les chants autour de lui sont les mêmes que ceux mémorisés pendant la phase sensible.
Ceci peut être modifié expérimentalement comme on l'a vu plus haut, car le rôle des interactions sociales est prioritaire : un congénère sera préféré pour l'apprentissage qu'un enregistrement.
Imititation, invention... improvisation !
Bien que l'imitation soit une phase nécessaire à tout apprentissage, les oisillons ne font pas que tout répéter en copie-carbone : ils ajoutent leurs propres variations, improvisent, et inventent. Une fois que les bases sont posées, place à la création ! Le chant peut ainsi légèrement varier entre deux individus d'une même espèce.
Chez une espèce de moineaux, on assiste à une perte énorme de vocabulaire utilisé entre la phase de plasticité et celle de cristallisation du chant. Pourquoi apprendre autant et ne pas l'utiliser ensuite ? Sans doute fallait-il montrer aux oisillons tout ce qu'il était possible de faire, pour qu'ensuite ceux ci se façonnent leur propre répertoire.
Les chants peuvent également varier au sein d'une même espèce : selon que les individus résident en forêt ou en plaine, leur chant est susceptible de changer pour avoir une portée maximale.
Quel accent ces provinciaux !
Même si nous parlons français dans tout le pays, chaque région développe des spécificités de langue. Nous comprenons les marseillais, mais leur accent est largement identifiable. Alors tenez vous bien : tout comme nous reconnaissons sans hésitation l'accent alsacien ou l'accent du nord, les oreilles entrainées d'un ornithologue peuvent affirmer l'origine géographique d'un oiseau simplement en écoutant son chant !
Il suffit parfois d'une simple dizaine de km pour observer les premières variations de chant entre des oiseaux d'une même espèce...
Vous avez aimé ? Offrez-nous le café !
Pas tout compris? Laissez un commentaire ou contactez-nous !