I/ Qu'est-ce qu'une norme?
Introduction
Du latin norma signifiant "équerre" ou "règle", la norme désigne suivant le contexte un ensemble de concepts difficilement synthétisables. Si elle désigne selon Le Grand Robert un "Etat habituel, ordinaire, régulier, conforme à la majorité des cas"11, la norme n'est pas pour autant nécessairement imposée.
Il faut prendre garde de ne pas confondre normatif avec impératif. Une norme n'est pas nécessairement une loi ni un commandement : elle peut être un idéal, sans aucun caractère d'obligation.12
Cependant, la norme a un réel pouvoir au sens où elle définie également un "critère ou principe auquel se réfère tout jugement de valeur moral ou esthétique".13
De la pluralité des normes en général
Le domaine juridique prévoit quand à lui la norme comme une règle ou une loi, un règlement édicté par des corps spécialisés et considérés comme référent dans un pays. Des Corps ou Organismes séparant les différents pouvoirs de l'Etat, se partagent la création, la promulgation et l'exécution des lois. La norme devient alors ici une "règle ou ensemble de règles obligatoires établies par l'autorité souveraine d'une société et sanctionnées par la force publique".17
Les normes juridiques définissent par-là même un ensemble de comportements répertoriés dans divers recueils de lois, codes civil et pénal entre autres. Cependant, elles diffèrent de part leurs natures des normes sociales.
Ces dernières sont une "manière de faire, de se comporter ou de penser, souvent majoritaire, socialement définie et sanctionnée, selon un système de référence implicite ou explicite"18. Cette norme sociale, par la pression qu'elle exerce devient coutume, d'où découle parfois une règle de droit (dit droit coutumier). En ce cas, la norme sociale devient une norme juridique. L'Angleterre par exemple dispose d'une constitution reposant sur le droit coutumier. Les normes sociales sont généralement un vecteur d'influence et d'unification en ceci qu'elles autorisent des jugements de valeurs, certes subjectifs et non pertinents, mais surtout insidieuse à l'égard de l'individu qui ne les respecte pas.
C'est à cette dernière catégorie, l'ensemble des règles sociales que l'argumentation suivante va s'intéresser, en particulier, et conformément à l'interrogation primaire, au rapport de cette norme sociale aux agents autonomes non humains.
Approches top-down et bottom-up dans les normes
La première approche, dite top-down, désigne des normes crées parfois ex nihilo par un ensemble de personne puis faite appliquée par décret. Ces normes peuvent être de type technique (norme ISO-machin), juridique (article 22-truc), sociales (décret bidule sur l'usage de chose) ou autre. Elle constitue un modèle, une norme, une loi auxquels la plupart doivent se conformer suite à la décision d'un petit nombre. Les normes sociales édictées par cette voie ont existé de tout temps, à l'image des dix commandants, du code Napoléon ou des codes civil et pénal. Ils marquent selon Lapierre les rapports de commandement / obéissance fondés sur la conscience collective du faut que l’existence sociale est impossible à l’espèce humaine si des règles de conduite ne sont pas reconnues et respectées, si la coopération à des activités communes n’est pas dirigée conformément à des objectifs communs.20
Cette notion de normes sociales non issues de la gestation sociétale est relativisée toutefois par Durkheim pour qui le droit n’est autre chose que cette organisation sociale ; la légalité est fondée sur la normalité, la norme juridique est respectée si elle émane de la norme sociale.21
Par opposition, la seconde approche dite bottom-up, désigne des coutumes ou habitudes, issues du plus grand nombre et s'étant par la suite imposées comme norme. Ces valeurs sociales s'établissent au cours des âges et se développent, tantôt meurent et tantôt s'instaurent. Mais dans le second cas, elles deviennent si enracinées dans la société, si présente comme règle sous-tendant le comportement social, que les origines ne sont généralement plus connues. Il en va généralement ainsi des formules de politesse, de la galanterie, des expressions verbales, des traditions.
Les normes sociales auxquelles se rapporte notre réflexion se séparent en deux catégories distinctes présentées précédemment. D'une part, les normes sociales d'approche top-down, écrites et publiées, appartenant au domaine juridique. D'autre part, celles d'approche bottom-up, que nous pourrions appeler coutumes, règles de bienséance, règles de politesse, de galanterie, ou de tout autre de ces normes non écrites, qui se transmettent de façon sociétale par l'éducation et l'interaction sociale. Il convient dès à présent de nous convaincre de l'importance de cette approche bipartite de la norme sociale en tant qu'elle détermine ce que par la suite nous nommerons "règles sociales légales" ou "règles sociales comportementales". Les premières seront les règles sociales issues de la loi; celles que nous devons suivre sous peine de sanction judiciaire. Les secondes désigneront les règles sociales conventionnelle; celles de la politesse, des mœurs, du bon sens.
Approches déterministe et interactionniste dans les normes
En premier lieu, nous avons le fait social, théorie proposée par Emile Durkheim, qui présente et soutient une idée déterministe et holiste de la société. Pour lui, la première règle et la plus importante est de considérer les faits sociaux comme des choses […] qui consistent en des manières d'agir, de penser et sentir, extérieures à l'individu, et qui sont douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui.22 Plus concrètement, les individus deviennent des vecteurs passifs composant la société. Celle-ci, par ses normes sociales exerce une contrainte coercitive sur l'individu qui intègre alors ces normes comme naturelles et légitimes. On peut supposer que Durkheim qui a beaucoup travaillé sur la question du suicide ne voit pas en cela une restauration du libre arbitre. D'une façon plus générale, le déterminisme marque une absence statistique du libre arbitre au sens où si l'individu propre dispose d'un libre arbitre, la contrainte sociale poussera statistiquement toujours l'un ou l'autre à agir dans son sens. En cela elle est globalement déterminée. Suivre la norme sociale ne la réactualise donc pas, ne la rend donc pas plus légitime. Agir selon la norme c'est simplement la rééditer sans la réinterpréter, la suivre sans la remettre en question, lui interdire toute évolution ponctuelle. Si la norme sociale évolue, c'est par l'influence de la société en tant que corps unique et non par somme des actions des individus le composant. Cette somme d'individu constituant la société présente pour Durkheim un aspect holiste au sens où son tout est plus complexe et important que la somme de ces parties, c'est-à-dire que la somme des individus la composant. En ce sens, agir selon la norme est une décision issue de l'individu qui la suit, mais déterminée par la société en tant que cause extérieure qui agit comme pression sur l'individu .
La seconde approche, dite interactionniste, est issue principalement de la vision Wébérienne de la construction des normes dans la société. Max Weber, présentent des idéaux-type, c'est-à-dire comme reconstruction stylisée d'une réalité dont l'observateur a isolé les traits les plus significatifs.23 Ces idéaux-type peuvent être assimilés en UML24 à des classes abstraites, c'est-à-dire à des classes non instanciable, mais possédant des propriétés propres. Par exemple la classe 'Humain' est une classe abstraite possédant des propriétés particulières comme par exemple des informations de physiologie. De cette classe dérivent les classes 'Homme' et 'Femme' qui elles sont instanciables. L'objet 'Homme' ou 'Femme' existe, tandis que l'objet 'Humain' n'est qu'un objet abstrait regroupant des propriétés communes mais qui n'existe pas à proprement parlé. Chez Weber, la société pourrait être vue comme une telle classe abstraite. Elle possède des propriétés, des "lois" et des "méthodes", mais n'est pas instanciable. En revanche, elle est composée d'objet réel, 'Homme' et 'Femme' que nous regrouperont sous l'appellation 'Individu'.
Dans sa vision de la société, c'est l'interaction entre les individus qui prime. Le sociologue, pour comprendre les normes qui sous-tendent l'interaction doit impliquer sa propre psychologie et compréhension. Cette approche subjective définie l'action de suivre une norme non plus par une contrainte de réédition de celle-ci, mais plutôt comme une possibilité de réinterprétation. L'individu, en décidant de suivre la norme la réévalue, se la réapproprie. En utilisant son libre arbitre pour suivre la norme, il lui donne vie, la légitime, mais surtout lui permet d'évoluer. Dans ce sens-ci, l'adaptation ou la réinterprétation de la norme est inhérente à nos actions et survient en ceci qu'elle sert l'intentionnalité de notre action. En effet, il n'est point d'action social qui ne soit neutre ou sans subjectivité.25 A la suite de Weber, nous entendrons par « action » un comportement humain quand et pour autant que l'agent lui communique un sens subjectif.26 Nous devrons par ailleurs décider si la norme sociale peut être suivie par un agent non humain en constituant une action au sens évoqué ici. La difficulté semble provenir de la nécessité de la subjectivité dans l'action, notion à priori incompatible avec celle de programmation.
A la lumière de cette nouvelle distinction sur les normes sociales, nous pouvons d'ores et déjà comprendre que des agents autonomes non humains ne seront capables que de rééditions des normes qui seront les leurs. Il sera impossible à la suite de Weber, de prétendre à une quelconque intentionnalité subjectif de leur part lors de l'exécution d'une telle norme. Au risque de briser le mythe de la machine de science fiction, rebelle, intelligente et supérieure, telle HAL ou Terminator, rappelons que la machine n'aura de cesse de suivre ses normes, ce que lui impose son code source, sans s'interroger sur leurs significations ni chercher à les redéfinir.
12 A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 1927.
13 Le Petit Larousse illustré, 2006
14 Le Grand Larousse en ligne, www.larousse.fr
15 World Wide Web Consortium, 1994, www.w3.org
16 International Organization for Standardization, 1947, www.iso.org
17 Le Grand Robert de la langue française, 2008
18 Ibid.
19 B. STEIGLER, Top Down/Bottom Up,19 janvier 2009, conférence à l'UTC
20 J.W. LAPIERRE, Vivre sans Etat ? Essai sur le pouvoir politique et l’innovation sociale, 1977
21 E. DURKHEIM, De la division du travail social, 1893
(Source secondaire: Norme Juridiques/Normes Sociales, http://webetab.ac-bordeaux.fr/Etablissement/SudMedoc/ses/1998/nj_ns.htm)
22 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, 1963
(Source secondaire: https://fr.wikipedia.org/wiki/Emile_Durkheim)
23 Les fondements de la sociologie Wébérienne, 1999, http://ancien.reynier.com/Anthro/Politique/WeberB.html
24 Unified Modeling Langage, UML, formalisme standardisé de représentation graphique
25 Emmanuel André OSTROVSKI, professeur à l'UTC
26 Max WEBER, Économie et société, 1921
(source secondaire: wikipedia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Max_Weber)